Le créatif peut-il être indépendant du périphérique de sortie ?

Est-il vraiment sérieux de la part des entreprises d’embaucher des créatifs qui ignorent les conditions de post-production de leurs délires créatifs ? C’est la question que je me suis posée en lisant cet échange hallucinant. Prenez le temps, c’est du lourd(ingue) ^__^ En gros, un DA (pour Direction Artistique) s’indigne des conditions dans lesquelles son oeuvre est découpée (massacrée) par les intégrateurs. Je me souviens que ce genre de discours étaient récurrents il y a déjà une quinzaine d’années dans le domaine du print (on disait PAO à l’époque). Les DA se plaignaient déjà beaucoup :

— c’est quoi ces couleurs ? Tu trouve que ça ressemble à mon Pantone ?

— Et mon Garamond en bleu quadri, 6 pts, c’est normal qu’il bave comme ça ?

— Nan mais, elle tire pas un peu sur le bleu cette photo ?

— etc.

Au moins à l’époque la structure globale de la mise en page n’était pas remise en question selon les habitudes de lecture, bien que je suis certain qu’on trouvait des lecteurs avec un QI égal à notre IE6 !

Les problèmes de rendu n’étaient pas moins importants qu’aujourd’hui :

  • Il m’est arrivé de travailler avec des flasheurs (photocomposition) qui n’étaient pas équipés de la bonne version d’Adobe Postscript,
  • d’autres qui n’avaient pas la puissance de calcul suffisante pour traiter des images lourdes avec des tracés de détourage complexe,
  • il m’est souvent arrivé de travailler dans des environnements où il n’y avait aucune calibration de la chaine graphique,
  • il fallait systématiquement fournir au flasheur les polices de caractère utilisées s’il ne les possédait pas, et ce, en toute illégalité.

Bref, en matière de «grand bazar», le web n’a rien inventé.

Je comprends bien les frustrations que peut ressentir le jeune graphiste d’aujourd’hui qui sort d’une formation généraliste et à qui on demande de créer pour le web avec toutes les limitations que l’on connait. Mais cette frustration doit rapidement se transformer en motivation pour que le jeune graphiste comprenne les tenants et les aboutissements de son métier.

Aucun graphiste n’a commencé ses études en se disant qu’il allait passer sa vie en mettant en page des formulaires, des notices pour des produits, faire des sites web pour une PME spécialisée dans le négoce du croc de boucher, etc. Mais c’est une réalité à laquelle peu de créatifs échapperont parce que c’est là que la friction monétaire est la plus forte.

Si le créatif ne peut ni ne veut s’adapter aux spécificités du web, il vaut mieux qu’il change de secteur d’activité : les technologies du web évoluent beaucoup plus rapidement que le print. De toutes façons, il y aura toujours des contraintes qui empêcheront les plus créatifs de s’éclater.

Le Directeur artistique n’est pas un artiste. C’est un travailleur comme les autres qui doit accepter sa part de frustration comme le font avec humilité les intégrateurs web et autres exé PAO qui sont des artistes dans leur domaine 😉

Je finirais par cette citation d’André Gide :

« L’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté. »

PS : ça me fait penser que j’ai déjà abordé la question de «l’inconsistance» de nombreux «créatifs» dans Deux mots sur le graphisme, le design et l’ergonomie des sites web