Non, le droit d’auteur français n’est pas ringard !

J’ai lu avec une pointe d’agacement l’article Echec des Creative Commons et nécessité de réformer le droit d’auteur ? paru sur Numerama. En gros, le droit d’auteur français appliqué automatiquement aux œuvres de l’esprit serait dépassé et contre-productif. Mais pourquoi donc ? J’ai toujours trouvé assez génial de constater que le législateur a prévu des dispositions permettant aux citoyens de bénéficier gratuitement d’une protection sans avoir besoin d’en faire la demande. Si vous écrivez un article sur votre blog, il suffit de ne rien ajouter concernant les droits afférents pour que ces derniers s’appliquent sans condition. Étonnant, non ?

Un droit protecteur

Si le fait de remettre toute chose en question est légitime, supprimer le droit d’auteur tel qu’il est définit par l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) serait un recul grave. Plus inquiétantes sont les justifications de Numerama qui se demande pourquoi finalement ne pas réserver la protection du droit d’auteur au seul secteur marchand en demandant une démarche active de la part du créateur, comme le font les entreprises avec le dépôt d’un brevet, par exemple.

Pour information, voici ce que stipule l’art. L.111-1 du CPI :

L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

Cf. www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

Si la licence Creative Commons ne fonctionne pas aussi bien qu’on aurait pu le penser, c’est peut-être parce qu’elle ne sert ni à grand chose ni à grand monde. En matière de droit d’auteur, le droit américain diffère du droit français. Ce dernier est beaucoup moins mercantile et plus respectueux des personnes créatrices, ce qui explique probablement le besoin des anglo-saxons de créer des licences alternatives, ce qui semble beaucoup plus rare en France (je ne parle pas des traductions).

Pourquoi faire simple alors qu’on peut faire compliqué ?

Je n’ai jamais compris à quoi ou à qui pouvait bien profiter toute cette débauche de licences alternatives en particulier dans le contexte des articles publiés sur un blog ou un site Web. Je peux comprendre l’envie de voir diffuser ses textes, mais en quoi le droit d’auteur classique l’empêche-t-il ? Ne suffit-il pas de demander les autorisations nécessaires ?

Copier-coller n’est pas jouer : éduquons !

Numerama explique que le droit d’auteur n’est plus adapté à l’ère actuelle. Je pense le contraire : dans le cadre du partage d’un texte destiné à l’impression, une licence alternative permet de préciser que les informations de paternité, etc. doivent être présentes sur le support. Sur le Web en revanche, il ne sert à rien de permettre la reproduction d’un texte accessible d’un clic, de jour comme de nuit, qu’il vente ou qu’il pleuve !

Une autre raison milite à mon sens pour le droit d’auteur classique à l’ère numérique. Le public susceptible d’avoir besoin de publier une oeuvre a beaucoup changé. A une époque, seuls les professionnels de l’édition avaient une raison d’avoir les compétences nécessaires pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’application du droit d’auteur (ce qui n’a jamais empêché le plagiat et la copie illégale).

Aujourd’hui, tout le monde peut être amené à copier-coller un article depuis Wikipédia ou tout autre publication en ligne et n’en déplaise aux «alternaïfs», les symboles © ou ® suivis ou précédés de la mention Tous droits réservés sont bien plus explicites qu’obliger les gens à se farcir des kilomètres de littérature pour comprendre les différences subtiles entre les licences disponibles.

Une image vaut mieux qu’un long discours ?

Dans ce billet, je suis plutôt axé sur les contenus textuels car vu le fonctionnement des moteurs de recherche, la duplication des contenus n’est pas sans impact sur le référencement de la source initiale. Les choses sont différentes pour l’image. Si les mentions de paternité, etc. sont respectées, le créateur de l’oeuvre est récompensé pour son travail qui est rendu visible, ce qui est le but de la licence choisie et sa publication n’enlève rien à la source initiale.

utilisez le droit de courte citation

Toujours en ce qui concerne les textes, le droit d’auteur autorise la publication d’extraits dont la longueur est déterminée en fonction de la nature de l’oeuvre. Il s’agit du droit de courte citation :

La citation ne doit pas concurrencer l’ouvrage original et doit être intégrée au sein d’une œuvre construite, pour illustrer un propos ; la citation en outre doit plutôt inciter le lecteur à se rapporter à l’œuvre originelle.

Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_courte_citation

Conclusion provisoire

J’ai plutôt l’impression que seuls les margoulins ont intérêt à promouvoir ces licences qui permettent de dépouiller l’honnête citoyen de ses droits les plus élémentaires sous couvert de partage et d’amour réciproque. Leur intérêt ? Reproduire à l’envie des contenus qu’ils n’ont plus les moyens de sous-traiter et/ou plus le temps de produire en interne. Par ailleurs, il ne faudrait pas — sous prétexte de lutter contre Hadopi — jeter le bébé avec l’eau du bain 😉

Je ne dis pas que les adeptes des licences Creative Commons ont forcément des arrières-pensées inavouables ou qu’il s’agit uniquement de doux rêveurs. Il y a des cas où le besoin de clarifier le statut d’un ensemble de documents peut nécessiter une licence explicite. Une chose est sûre : le texte de présentation des conditions de reproduction du site A List Apart bien connu des Webdesigners et des développeurs front-end est un modèle du genre.

Je tiens à préciser qu’il s’agit d’un billet d’humeur écrit très rapidement (je n’ai pas eu le temps de faire plus court) qui mériterait sans doute un peu plus de rigueur intellectuelle, mais il faut bien que je justifie l’existence de ma catégorie Humeur 😉