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Jardin public

Quelque part dans un jardin public, un clochard, la nuit.

Autour, de vieilles HLM qui attendent d’être repeintes. Le clochard n’a pas de prénom. Il est trop loin pour qu’on identifie ce qui est gravé sur sa gourmette, qu’on devine, luisant d’un éclat fugitif lorsqu’il passe sous le réverbère. Qui s’éteint.

A quelques dizaines de pas, les voitures roulent sous la pluie. L’homme est sous les arbres, sur le banc. Il mange des galettes.

Quelques miettes tombent à terre que des petites bêtes viennent — timidement d’abord, puis franchement — grignoter. L’homme s’allonge. Ses pieds dépassent du bord du banc qui bancal grince. Une fois, puis deux, puis plus rien. Il s’endort.

Les petites bêtes vont et viennent : elles sont plus nombreuses ; ça grouille là-dessous ! L’homme ronfle. Les bêtes stoppent net, puis repartent avec plus de fébrilité peut-être. Plus nombreuses aussi.

L’une d’elles, puis deux, puis trois sont montées sur le banc et, timidement, sur l’homme qu’un ronflement agite ; que les bestioles ignorent. Elles continuent leur besogne : une bête s’approche de l’oreille du clochard, la mord. Il hurle. Il sent le vin, tombe à terre et dans sa chute, écrase cinq ou six bestioles. Ca fait un bruit mou, sale et répugnant.

Il vomi en essayant de se relever ; une bête s’enfuie avec quelque chose comme de la chair ensanglantée et molle entre ses petites dents blanchâtres et pointues.

« Mon oreille », pense-t-il horrifié. Sa main s’y porte, se secoue du sang qui coule ; il a mal aux pieds, il a mal partout.

« Putain d’punaises », hurle-t-il. Mais la bête s’agite de plus belle. Il pourrait se lever, courir même, mais son esprit refuse de croire à tout ce sang qui coule maintenant, à toutes ces petites dents pleines de chairs ensanglantées. Les siennes.

Une pensée de cure-dents l’effraye. « Je suis complètement maboule ! », crie-t-il, « A l’aide ! ». Au loin des volets claquent : « Ta gueule, pochard ! ».

« Et merde, j’vais crever là, ces sales bêtes m’ont crevé de partout ».

Il s’agite moins maintenant que les bestioles sont repues. Ces dernières pensées sont pour elles et ses galettes : si seulement elles avaient commencées par elles : le bruit du plastique l’aurait réveillé avant qu’il ne bascule sur le sol et dans la folie.

Cette nuit-là, un clochard est mort de froid. A ses côtés, un sachet de galette éventré, vide. Aucune trace suspecte. Le vent a entraîné le sachet par bond successif jusqu’au grillage.

La pluie s’est arrêtée. De plus en plus de voitures circulent sur le périphérique.

Des gens vont se réchauffer autour du distributeur de café un peu partout dans le pays.

Il vont pointer.