Wikileaks, les bons tuyaux ?

blockquote {text-align:left;}Suite à quelques tweets suivis d’un bref échange de point de vue sur Twitter (et comme 140 caractères ne suffisent pas toujours), Eric a eu la bonne idée de développer ses arguments concernant Wikileaks dans La transparence c’est le totalitarisme. Il parle de démocratie, de transparence, de liberté, de secret diplomatique, etc. et conclut en disant que :

[…] nos politiques ont surtout peur de devoir rendre des compte sans ménagement, ils n’y sont plus habitués. Pourtant, ne serait-ce pas le minimum à attendre dans une démocratie représentative ?

En vérité, je vous le dis

Je pense au contraire que ce sont les populations qui ne sont plus habituées à entendre la vérité toute crue, celle qui fâche et qui oblige à prendre des positions politiques propices à gâcher le prochain repas familial.

La transparence totale que l’on demande aux Etats (enfin, surtout aux Etats-Unis en ce qui concerne Wikileaks) n’est ni possible ni souhaitable :

  • Pourquoi demander aux diplomates de se poser des questions existentielles avant de rédiger des notes à caractère privé ? Va-t-on leur demander de s’auto-censurer ou de trouver un moyen moins diplomatique de dire ce qu’ils pensent de leurs hôtes ? A-t-on vraiment besoin de moins de diplomatie dans le monde ?
  • En quoi la transparence des relations entre les Etats (puisqu’il ne s’agit pas de relations entre les Etats et les citoyens) donnerait plus de démocratie et de pouvoir aux peuples ?

Une chose que l’on oublie souvent, c’est que l’hypocrisie et le mensonge sont inhérents à la nature  humaine et indispensables pour vivre ensemble. Ce n’est pas un hasard si l’on qualifie souvent de « diplomatique » un discours hypocrite. Il est par exemple tout simplement impossible de « négocier » sans cacher certaines informations…

Journalisme de données

Le journalisme de données, rendu possible par la technologie, est certainement très intéressant. Mais la manière dont s’effectuent les fuites et le traitement des câbles par les journaux ressemble furieusement au bon vieux scoop des familles. Sauf que là, ce sont certainement des dizaines de journalistes que l’on envoient au charbon avec des centaines de documents non-qualifiés à éplucher : bienvenue dans le IIIe millénaire !

En l’occurrence, j’ai plutôt l’impression qu’une bande de journalistes aux dents longues essaient de faire sa place au soleil et qu’importe si le monde s’écroule, qu’importe si un pays — les Etats-Unis, dont chacun s’est félicité qu’il allait dans la bonne direction en votant pour Barrack Obama –, risque de perdre du temps et de l’argent, voire des hommes et des femmes dans les pays en guerre.

A moins qu’il s’agisse de mettre au point un algorithme pour produire de la news au kilomètre à partir d’un corpus de données hétérogènes. Allez savoir. Au moins pourra-t-on se féliciter de compter des français parmi ceux qui auront tué le journalisme traditionnel !

Transparence et devoir de réserve

Je comprends bien l’argument théorique voulant que les Etats devraient être transparents aux regards de leurs concitoyens, mais quiconque a déjà travaillé dans un comité de direction ou de pilotage d’une entreprise (ou même tout simplement en tant qu’administrateur système) sait très bien qu’il y a des choses que l’on ne peut pas partager avec le reste des salariés et que leur divulgation est un motif de renvoi, sans que la liberté d’expression ou la démocratie soit compromise. CQFD.

La fin ne justifie pas les moyens

Vous l’aurez compris mon intérêt pour Wikileaks est tout relatif :

  • Wikileaks n’est pas vraiment digne de confiance : l’organisation et son fonctionnement sont secrets. Ce qui peut s’expliquer, bien sûr, mais en matière de liberté et de transparence, quelque part « ça la fout mal » comme on dit.
  • La masse même des documents interdit de facto toute publication in extenso et donc l’intérêt même des fuites est noyé sous le nombre.
  • Pourquoi faire bénéficier les grands quotidiens mondiaux de scoops alors qu’il eut peut-être été judicieux d’en faire profiter les plus petits, les Backchich, les La Mèche ? Donner des documents sensibles à Le Monde pour qu’il nous sorte les sobriquets dont les diplomates américains affublent Nicolas Sarkozy, c’est un peu donner du lard à des cochons !

Reste la question de l’indépendance du réseau. Là oui, c’est important. C’est même dommage de tester sa résistance avec des déclarations aussi banales.

Conclusion : Wikileaks « pipolise » les Etats

Le Data Journalism à la mode de Wikileaks a pour effet de « pipoliser » les Etats comme s’il s’agissait de candidats pour des émissions de télé-réalité. Si c’était l’objectif, c’est grave, si ce n’était pas le cas, c’est encore plus grave. Avait-on vraiment besoin d’un Gala ou d’un Voici supplémentaire à l’échelle du monde ? Bref, on dirait que la méthode Morandini gagne du terrain.

Voilà, c’est tout pour le moment

J’ai écris ce billet presque d’une traite, merci de pardonner les approximations, les ellipses et le manque de structure. J’espère simplement avoir réussi à transmettre mon sentiment provisoire sur la question.

Pour un avis plus structuré, allez donc faire un tour chez Florent pour lire ses Quelques notes personnelles sur WikiLeaks ou chez Christian Fauré avec sa tragédie wikileaks.

PS : en prime, voici un tweet au sujet de Wikileaks qui résume bien ma pensée :

On pari combien que les pro-Wikileaks sont les mêmes que ceux qui n’aiment pas que leur écran soit sur le passage, visible par tous ? — http://twitter.com/#!/br1o/status/10840244433723392