Allez, ça suffit, maintenant ! Que celui qui n’a jamais pensé qu’il avait déjà bien assez travaillé sur certains projets me jette la première souris ! Face à la multitude des prestations low cost qui ont fait leur apparition dans les métiers du web depuis quelques années — création de logo, rédaction de contenu, création de charte graphique ou intégration HTML & CSS –, il est temps de (se) poser quelques questions.
Prestation au kg ?
Est-il normal qu’un logo ou un site web complet — fut-il développé avec WordPress — coûte moins cher qu’une paire de Jeans ou une casquette de marque ? Est-il normal de considérer qu’un étudiant n’ayant pas de «charges» pourra travailler pour la gloire ? C’est d’ailleurs un fait bien établi : le jeune ne mange pas, ne sort pas ; il ne vit que d’amour et de fraiche (d’eau fraiche, pardon).
Ceci dit, il y a de nombreux cas qui n’imposent pas de sortir la grosse artillerie. Est-il en effet toujours nécessaire de prendre la pose de Rodin pendant trois jours pour créer une charte graphique lorsque le client sait ce qu’il veut, ou ne veut rien d’autre que l’application de ce qui fonctionne dans son secteur d’activité où il suffira de faire un peu de pompage (pardon, de benchmarking) ?
«Patte graphique» ou copié-collé ?
Lorsqu’on regarde travailler les graphistes, on se rend compte assez souvent qu’ils ont leurs petites manies qui transparaissent dans leurs créations : «patte graphique» ? — ou manque de renouvellement au niveau des idées. On trouve aussi l’application souvent systématique de recettes toutes faites : saisir l’air du temps, savoir dénicher les tendances ? — ou fâcheuse tendance à copier ce qui fonctionne ailleurs…
Dans un cas, on fait du benchmarking, dans l’autre, on copie-colle… La vérité n’est pas dans les extrêmes, mais dans un dosage subtile entre la «patte graphique» et le manque d’inspiration et être «à la page» et piller les vrais créatifs.
Il m’arrive souvent d’avoir des idées de logo ou de maquette en deux temps et trois mouvements. Ce qui prend généralement du temps, c’est le fastidieux travail de peaufinage : enlever les «pétouilles», prendre du recul (donc du temps), revoir un détail, un autre et puis encore un autre…
La question que je me pose régulièrement, c’est : à partir de quel moment fais-je payer au client ou à mon employeur le prix de mon perfectionnisme au lieu de rester concentré sur ses besoins à lui ?
Qualité print vs. web ?
J’ai été élevé au grain. C’est-à-dire que j’ai commencé à apprendre et à travailler dans un contexte où la chose imprimée l’était pour longtemps. La moindre erreur pouvait être fatale à l’image du produit. Sur le web — si l’exigence de qualité reste la même — il est possible de travailler par itérations successives pour aboutir au final à un très bon résultat.
Itération ?
Il s’agit de proposer une première version «vite fait bien fait» répondant ni plus ni moins aux impératifs du cahier des charges. Ensuite, des versions successives viennent redresser la barre en fonction du feedback.
Bien sûr, si les moyens financiers et le temps le permettent, il est toujours possible de proposer une première version qui soit elle-même issue d’une ou plusieurs pré-versions. Mais le principe est le même. (Il faudra quand même soit inclure le feedback sous forme de tests dès le début du projet, soit attendre les retours du terrain et faire des améliorations).
Good enough et agilité
De mon point de vue, le good enough n’est pas un pis-aller, mais un concept-clé d’une démarche créative-productive dans les métiers du web. C’est même une condition préalable et nécessaire dans le cadre des méthodes de développement agiles (Scrum) :
Les méthodes agiles se veulent plus pragmatiques que les méthodes traditionnelles. Elles impliquent au maximum le demandeur (client) et permettent une grande réactivité à ses demandes. Elles visent la satisfaction réelle du besoin du client et non les termes d’un contrat de développement
Reste le plus dur, donc, déterminer les besoins réels du client afin de les satisfaire. Bref, beaucoup de questions, peu de réponses, mais j’espère que vous aurez trouvé dans ce billet (d’humeur) quelques pistes de réflexion sur l’avenir de nos professions, souvent bien malmenées.
Le gros problème en réalité, c’est la définition même du besoin du client. Au delà des problématiques du cahier des charges, des délais ou du budget, le problème est que soit le client ne sait pas trop ce qu’il veut, ou alors il le sait mais il part dans le mauvais sens.
Là où un bon développeur ou graphiste saura tirer son épingle du jeu, c’est de justement réussir à dépasser le cahier des charges et de réellement communiquer avec son client pour enfin aboutir à un travail de qualité, original et permettant un réel retour sur investissement.
Très bonne réflexion sur ce qui fait une des spécificités du médium « Web ». Il aurait été bon de souligner toutefois que pour certains aspects (liés à la sécurité ou l’accessibilité par exemple), « good enough » est au final une exigence de perfection. Voir à ce sujet l’article de mon très estimé collègue Jean-Pierre Villain: « L’accessibilité est-elle soluble dans la qualité? »: http://j.mp/taoZVx